ScaleUps : le piège des géants industriels
- Elodie Colin-Petit
- 27 avr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 juin
Chez certaines scale-ups* industrielles et/ou technologiques, la trajectoire est bien connue : un produit innovant, une première base clients solide, une ou plusieurs levées de fonds réussies… puis une décision stratégique qui semble naturelle : passer à l’échelle en visant des clients grands comptes industriels. L’intention est légitime. Ces groupes sont structurés, solvables, engagés dans des dynamiques de transformation, souvent internationales en apparence, des clients idéaux pour accélérer. Mais dans la pratique, le modèle de vente hérité de la phase start-up se révèle mal calibré. Et une question stratégique revient, rarement posée à temps : “Sommes-nous vraiment structurés pour adresser ce type de clients ? ”
(*Une scaleup est une entreprise qui peut se concevoir comme une start-up ayant réussi à croitre. Source Wikipedia)
“Grand compte” ne veut pas dire la même chose selon les secteurs
Dans les secteurs B2B à forte volumétrie (télécoms, SaaS, retail tech…), un “grand compte” est souvent défini par la taille de la commande ou du portefeuille.
Dans le monde industriel, la notion de grand compte renvoie à tout autre chose :
· des structures matricielles, implantées sur plusieurs continents,
· des cycles d’achat multipolaires,
· une exigence de conformité, de rigueur documentaire, de sécurité,
· et des interlocuteurs variés : R&D, achats groupe, directions marketing, filiales locales…
Dans ce contexte, vendre ne se limite plus à signer un deal. Il faut orchestrer une relation dans le temps, coordonner les réponses, structurer les preuves, adapter les récits. Le tout en gardant une ligne stratégique claire sur chaque compte.
Ce que le modèle ScaleUp ne permet pas
Beaucoup de structures en croissance ont organisé leur vente sur des schémas issus du SaaS :
· des rôles très spécialisés (chasse, signature, rétention),
· un pilotage centré sur le volume de leads,
· une culture de l’efficacité transactionnelle.
Ce modèle fonctionne dans des environnements où les cycles sont courts, les acheteurs identifiables, les objections prévisibles. Mais dès que la cible devient industrielle, complexe, internationale, en cycle long (12 à 24 mois, voire plus), il devient contre-productif.
Les profils recrutés, souvent juniors ou issus d’univers tech, ne sont pas armés pour gérer la lenteur, la politique interne, la cartographie d’un groupe international. Et les échecs de recrutement ne sont pas dus à un manque de talent, mais à un décalage entre le modèle de vente et la réalité du terrain.
Repenser le business model avant de structurer les ventes
La vraie question n’est pas : “Comment recruter des commerciaux grands comptes ?”
Mais : “Avons-nous, en l’état, la capacité de servir ce type de clients ?”
Et si la réponse est non, cela n’est pas un échec.
C’est le point de départ d’un raisonnement stratégique.
D’autres options existent :
· construire un modèle de distribution indirecte,
· créer des accords de licence avec des partenaires industriels déjà implantés,
· s’appuyer sur des partenaires technologiques ou commerciaux capables de porter la solution auprès de ces groupes.
Mais externaliser ne signifie pas déléguer à l’aveugle
Un modèle de distribution indirecte structuré pour les grands comptes, ce n’est pas juste “trouver un revendeur”.
C’est un dispositif piloté, avec :
· un responsable senior de la distribution grands comptes,
· des équipes de support et d’avant-vente, capables d’aider les partenaires à répondre aux exigences spécifiques des clients finaux (documents techniques, exigences QHSE, logiques d’achat groupe…),
· un marketing d’évangélisation dédié, capable de nourrir le marché avec des contenus ciblés, crédibles, portés par la démonstration de valeur (webinaires, cas d’usage, publications sur les réseaux spécialisés…).
Car on ne peut pas gérer des partenaires sans comprendre les clients finaux. Et on ne peut pas construire une croissance durable sans orchestrer les interactions entre tous les maillons de la chaîne.
Ce que cette situation révèle
-> Structurer une activité grands comptes ne commence ni par le recrutement, ni par la formation.
-> Cela commence par un alignement entre l’ambition marché, le modèle économique, l’organisation commerciale… et surtout, les ressources disponibles.
Le bon sens stratégique impose une séquence rigoureuse :
1. Comprendre le marché cible
2. En déduire les exigences commerciales
3. Construire un modèle de distribution ou de vente adapté
4. Définir les rôles internes et externes
5. Recruter ou former en fonction du cadre défini
À défaut, on alourdit les coûts, on use les équipes… on peut rater les vrais sujets et se faire doubler.

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